mercredi 13 octobre 2010

Sur le pouvoir fédéral de dépenser

Maxime Bernier, la machine à idées du Parti conservateur canadien, propose d'éliminer le pouvoir fédéral de dépenser, afin de résoudre les éternelles chicanes constitutionnelles. De quoi s'agit-il au juste?

C'est bien connu, le fédéral a plus d'argent que les provinces (avec exception, parfois, des productrices de pétrole). Cela est principalement dû au fait que les services publics les plus coûteux, comme la santé et l'éducation, sont de compétence provinciale. Ces services ne coûtaient à peu près rien en 1867 lorsqu'on a partagé les pouvoirs entre les gouvernements. Donc, pour que le pays fonctionne sous un régime d'État-providence, le fédéral doit transférer des fonds publics vers les provinces.

Il existe deux types de transferts : en espèces et en points d'impôt. Le premier est tout simplement de l'argent. Le second est une baisse d'impôt du fédéral en échange d'une hausse équivalente dans les provinces. En théorie, cela ne change rien pour le contribuable, mais la province récolte plus de revenus. La proposition de Bernier consiste à éliminer les transferts en espèce et à ne conserver que les points d'impôt.

Il s'agit d'une dispute constitutionnelle, car ce pouvoir plutôt important du fédéral ne se trouve nulle part dans la Constitution. Le point de litige est le suivant : personne ne s'oppose aux transferts en soi, mais les choses se compliquent lorsque le fédéral attache des conditions au chèque. Par exemple, une province qui ne respecte pas la Loi canadienne sur la santé (qui encadre sévèrement le privé dans la santé) peut se voir retirer une partie de ses transferts. Ceci constitue manifestement une intrusion du fédéral dans un pouvoir provincial. Toutefois, la Cour suprême a statué il y a longtemps que le pouvoir de dépenser est légal, en autant que celui-ci s'en tienne à des conditions générales.

Quelques commentaires sur la proposition :

  • Pour réellement en finir avec les disputes constitutionnelles, il faudrait... un amendement constitutionnel. Donc rouvrir la Constitution. Et on sait que chaque province (et le fédéral sans doute) a dans sa poche arrière une douzaine d'amendements qui sortiront dès que l'on procède à une ronde constitutionnelle. Ce sera le début, et non la fin, des disputes!
  • Éliminer les transferts en espèces pour ne conserver que les points d'impôt ne changerait pas grand-chose quant aux relations fédéral-provincial. On dit qu'avec les points d'impôt, les provinces gagnent de l'indépendance. Mais lorsque le PM Harper a baissé la TPS de 2 points ces dernières années, aucune province n'a saisi l'opportunité de hausser sa propre taxe de vente de 2 points.
  • On peut en débattre, mais le pouvoir de dépenser joue un rôle utile dans l'harmonisation des services provinciaux à travers le pays. Sans ce pouvoir, plusieurs provinces auraient déjà des systèmes privés de santé. La LCS et la menace financière du fédéral est en ce moment le rempart le plus efficace contre l'invasion du privé et la mort du système de santé canadien. Ralph Klein s'est notoirement battu contre le fédéral sur ce point, et à la fin il a dû plier les genoux devant les pénalités de transfert qui s'accumulaient.

Pour finir, un point négatif sur le pouvoir, très déterminant : son caractère arbitraire. Dans les années '90, Jean Chrétien décidait année après année combien d'argent il donnait aux provinces pour leurs services sociaux. Les provinces vivaient dans l'incertitude permanente, et ce fut un époque de vives tensions. Si on devait changer quelquechose sur le pouvoir de dépenser, ce serait d'éliminer le plus d'arbitraire possible. Lorsque Paul Martin est arrivé au pouvoir, il a immédiatement garanti pour 10 ans les montants de transferts en santé. C'est le genre de décision qui devrait être la norme.

2 commentaires:

  1. J’ai quelques questions émanant de votre discussion de l’article concernant Bernier. D’abord, si les transferts sont éliminés par le parti conservateur, le fédéral gagnerait environ 40 milliards de dollars. Où irait cet argent extra? Certes, 40 milliards de dollars est beaucoup; une telle changement aurait un effet assez intéressant sur le budget fédéral. En plus, qu’est-ce qui arriverait à notre système de santé et d’éducation? Est-ce que des compagnies privées interviendraient dans les systèmes de santé et d’éducation pour que ces deux systèmes puissent être financés?

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  2. Le gouvernement Chrétien avait effectué des coupures massives de transfert en 1994-95, et il s'était servi du montant pour réduire le déficit, ce qui l'a conduit à des surplus quelques années plus tard. Faut croire que Harper ferait de même, mais il a fréquemment répété qu'il n'entendait pas vraiment toucher aux transferts, sauf peut-être en santé lorsque le contrat de 10 ans se terminera en 2014.

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