vendredi 25 février 2011

Budget 2011 : déficit ou non?

Le gouvernement Stelmach a présenté son budget 2011-12 hier, et la grande nouvelle est le déficit de $3.4 milliards. Le titre de l'article du Edmonton Journal est évocateur : "Alberta Plunges Deep into the Red". Mais est-ce vraiment un déficit? Techniquement, oui, mais ici on emprunte pas pour le combler.

Le gouvernement a annoncé que le manque à gagner sera comblé par le Sustainability Fund, une réserve de $11 milliards accumulée pendant les années de surplus. La description du fonds sur le site du gouvernement se lit comme suit : "The Sustainability Fund helps protect the government's program and infrastructure spending plans from unexpected drops in revenue and the costs of emergencies, disasters."

Bien sûr, on peut accuser le gouvernement de maintenir des redevances pétrolières trop faibles, ou de ne pas couper assez dans les services publics. Mais un vrai déficit se finance par un endettement, et ici la province n'emprunte pas un sou (des emprunts sur 3 ans annoncés en 2009 sont encore en opération toutefois). Danielle Smith, du Wildrose Alliance, accuse les Conservateurs de dilapider le fonds. Mais si on ne peut pas s'en servir pour maintenir les services en temps de récession, à quoi ça sert au juste?

De toute façon, la dette de l'Alberta est à un ridicule $800 millions. Celle du Québec est à $107 milliards. De quoi on se plaint?

samedi 12 février 2011

Un obstacle à la réforme de la santé aux États-Unis

La réforme de la santé du gouvernement Obama aux États-Unis avance lentement mais sûrement. Récemment toutefois, elle a rencontré un obstacle : des juges de cours inférieures ont déclaré que l'obligation de se procurer une assurance-maladie privée est inconstitutionnelle. La bataille se réglera devant la Cour suprême probablement cette année. Si cette obligation, que l'on appelle là-bas le "mandate", disparaît, c'en est fait de la réforme. Mais pourquoi cette obligation?

Après d'âpres négociations avec le Congrès et les lobbyistes, on a décidé que la réforme se ferait entièrement dans le cadre du privé, mais à une condition majeure : la discrimination sur la base de l'état de santé sera désormais interdite. Les assureurs ne pourront plus exiger de tests de santé, et ils devront offrir à peu près la même prime à tous ses clients. Cela aura pour effet d'augmenter les primes des gens en santé et de baisser celles des malades et ceux présentant des risques comme l'obésité ou des dispositions génétiques. On aura donc une forme de redistribution des biens portants vers les moins bien portants, et aussi par la bande des riches vers les pauvres car il y a corrélation entre mauvaise santé et pauvreté.

Si les primes des biens portants, surtout les plus riches d'entre eux, augmentent significativement, ils auraient possiblement intérêt à débarquer du système et à s'arranger eux-mêmes en cas de problèmes. Si cela se produit à suffisamment grande échelle, les assureurs privés perdraient leur clients "payants" (ceux qui paient des primes sans trop retirer en bénéfices) et se retrouveraient avec une plus grande concentration de clientèle "à risque", entraînant une chute des profits. La solution privée sera alors d'augmenter les primes, ce qui générera un effet boule de neige car plus de bien nantis abandonneront l'assurance privée, réduisant ainsi le "risk pool" encore plus, etc. La solution publique, celle retenue, est d'obliger tout le monde à souscrire à l'assurance privée (avec subventions aux plus pauvres, aussi inclus dans la réforme Obama).

Il y a une autre raison connexe pour l'obligation. Si l'assureur ne peut plus discriminer, il vaut la peine d'attendre d'en avoir besoin avant de s'y inscrire. Par exemple, un Américain pourrait décider de s'en passer jusqu'à l'âge de 60 ans, et payer sa prime rendu là. Si un assez grand nombre se comporte de cette façon, on se retrouve avec les mêmes problèmes que ci-haut. On en a l'expérience au Québec, où depuis peu, l'assurance privée pour les chirurgies de hanche, genou et cataractes (HG&C) est légale. Mais aucun des grands assureurs ne l'offre, tout simplement parce qu'elle n'est pas obligatoire! Quelle raison a-t-on pour se payer une assurance HG&C à 20 ans? Puisqu'il s'agit d'actes médicaux touchant surtout les aînés, vaut mieux attendre la retraite, mais de cette façon les assureurs ne feraient pas un cent de profit. Donc cela ne les intéresse pas.

Revenons aux États-Unis. La légalité de l'obligation est remise en question. Selon un éminent constitutionnaliste, il n'y a pas lieu de s'inquiéter, la Cour suprême va fort probablement en confirmer la constitutionnalité. Mais le véritable problème n'est pas juridique mais plutôt politique. Le danger c'est que la Cour déclare la loi quasi-légale et exige des modifications mineures pour fins de clarté. C'est ici que le Congrès devrait intervenir, et avec une majorité de Républicains à la Chambre des représentants ainsi qu'une minorité forte au Sénat, il y a tout à parier qu'ils bloqueront les amendements ou encore qu'ils en profiteront pour tout démanteler. Au mieux, ils réussiront à retarder la mise en place du régime, ce qui déjà là serait catastrophique, car le système actuel est au bord de l'éclatement.

vendredi 4 février 2011

La cause Caron et la question des dépenses devant la Cour Suprême du Canada : Victoire

Par Dustin McNichol, étudiant à la maîtrise, Campus St-Jean.

Aujourd'hui, la Cour Suprême du Canada donne gain de cause à Gilles Caron, un Franco-Albertaine originaire du Québec, sur la question des dépens dans la cause Caron.

En décembre 2003, Gilles Caron est accusé de défaut d'effectuer un virage à gauche sans danger. Il conteste cette contravention, disant qu'elle devrait être en français et en anglais au lieu d'être uniquement en anglais. Dès lors, Caron lance une poursuite constitutionnelle contre la Loi linguistique (1988)
de l'Alberta, loi qui abroge les droits linguistiques de la minorité francophone en Alberta.

Rapidement, le procès de Caron prend deux volets. Le premier, le volet juridique et factuel, examine l'histoire juridique de la langue française en Alberta depuis les années 1800. Caron constate que la langue française est une langue officielle en Alberta depuis 1835, et que le gouvernement albertain n'a pas le droit d'abroger ce statut officiel avec la Loi linguistique. La Couronne affirme la position opposée. Pour elle, la langue française n'est plus une langue officielle en Alberta, et cela, depuis 1988 lorsqu'elle sanctionne la Loi linguistique. Ce volet juridique demeure en litige, et est présentement devant la Cour d'Appel de l'Alberta, le plus haut tribunal de la province.

Le deuxième volet dans la cause Caron est celui des dépens. Comme le procès en première instance (celui devant la Cour provinciale) a pris cinq ans, et celui devant la Cour du Banc de la Reine a pris un an, les coûts juridiques sont devenus considérables. Gilles Caron, qui est ouvrier, n'a pas été capable de payer les frais de son avocat et les autres coûts associés avec son procès. Par conséquent, son avocat a demandé à la Cour provinciale de forcer le gouvernement albertain (la Couronne) à payer ses frais. La Couronne refuse de le faire. Elle fait appel aux tribunaux supérieurs (la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta et la Cour d'Appel de l'Alberta), mais ces derniers soutiennent la décision de la Cour provinciale.

Et voilà où nous sommes aujourd'hui : la question est tranchée par la Cour Suprême du Canada. Dans sa décision d'aujourd'hui, la Cour statue que la question de justice est primordiale dans la cause Caron. Si Gilles Caron avait dû laisser tomber sa poursuite pour des raisons financières, cela aurait été une violation de la justice et de ses droits fondamentaux. Par conséquent, les tribunaux albertains avaient raison de forcer le gouvernement albertain à payer les frais de Gilles Caron. Cet arrêt est très important pour la continuation du premier volet de la cause Caron, parce que maintenant on ne doit pas s'inquiéter de la question de comment financer la cause. C'est une victoire pour Gilles Caron, ses avocats, la justice et la communauté franco-albertaine.

La décision peut être lu (en anglais ou en français) à : http://csc.lexum.umontreal.ca/fr/2011/2011csc5/2011csc5.html